Radicalisme en Californie : liberté d’expression et genèse politique

Le 5 mai 1896, Eugene Kinsley est monté sur la scène du Metropolitan Temple à San Francisco, à l’occasion du May Day, pour s’adresser à une foule de près de 2 000 personnes, réunie pour écouter M. Kingsley ainsi qu’un autre socialiste, R. T. McIvor. Mais sitôt M. Kingsley entama son discours, sitôt il stupéfia ses confrères : il dénonça immédiatement les organisations ouvrières et avança que l’amélioration des conditions sociales de la classe ouvrière était une « philosophie de misère ». Il affirma que la seule façon d’effectuer une transformation juste et valable des sphères économiques et sociales était d’élire des socialistes, pour ainsi leur donner le pouvoir. Ces déclarations semblent incroyables, venant d’un homme qui, avec le temps, exerça une influence marquée sur la structure de la pensée socialiste canadienne. Mais sa pensée était raisonnée et l’approche socialiste de M. Kingsley, pour le restant de ses jours, découla de ce raisonnement. San Francisco

Lorsqu’il fut rétabli de ses blessures et après son arrivée à San Francisco, M. Kinglsey grimpa rapidement les échelons du Socialist Labor Party of America (Parti socialiste travailliste des États-Unis), ou SLPA, pour occuper le poste de coordinateur pour l’état. Ce parti fut le premier parti politique d’importance aux États-Unis à mettre de l’avant un programme cohérent au sujet d’une révolution politique socialiste et il créa un forum idéal pour la genèse des politiques de M. Kingsley. Le SLPA fut fondé en 1876 et son bureau principal fut à New York. Durant les années 1890, lorsque Daniel De Leon fut à la tête du parti, le SLPA avança que l’égalité sociale se réalise suite à une victoire électorale, et non en raison d’activisme en milieu de travail ou en réformant le capitalisme. De façon générale, cette vision s’alignait avec celle de M. Kingsley.

Market Street, à San Francisco : lieu des rencontres  publiques de M. Kingsley et d’autres membres du Parti socialiste travailliste et lieu de leurs mises en arrestation. Dans l’Ouest, la notion de consensus n’était pas centrale aux politiques du parti. Celui-ci était davantage influencé par le syndicalisme industriel, un mouvement qui s’exécutait surtout en milieu de travail et non aux bureaux de scrutin. Cette époque fut marquée par le fait que le public s’intéressait grandement au changement social, par l’entremise de différents acteurs de réforme, allant de l’Armée du Salut aux socialistes, qui se battaient pour les places de choix sur Market Street, à San Francisco, pour prêcher aux passants qui s’arrêtaient. Eugene T. Kingsley fut arrêté pour s’être adonné à de telles activités, accusé d’avoir obstrué une voie de circulation. De 1895 à 1896, plusieurs autres membres du parti socialiste travailliste furent arrêtés lors d’arrestations de masse.

À cette époque, les communications à grande échelle se faisaient difficilement. En faisant ces exposés sur la place publique, les membres du parti tentaient d’organiser des activités publiques d’une façon qui cadrerait avec les activités politiques légitimes de ce temps. Depuis longtemps, la ville permettait les rencontres politiques sur les voies publiques. À l’opposé, le statut du groupe socialiste comme parti politique démocratique et respectable n’était pas acquis. Le SLPA a donc organisé des manifestations, des poursuites juridiques et des marches silencieuses. Mais l’opposition de la ville (les arrestations de masse et la dispersion des foules) s’est montrée trop imposante. Eugene Kingsley se trouvait souvent au cœur de la discorde, soit au podium, soit stratégiquement à l’écart, mais toujours en position d’influence.

Lettre qui témoigne de la lutte de pouvoir au sein du Parti socialiste travailliste des États-Unis en raison de laquelle M. Kingsley se rendit en Colombie-Britannique. Pendant le discours qu’il prononça à l’occasion de May Day en 1896, M. Kingsley déclara que les politiques révolutionnaires et les réformes étaient irréconciliables. Ultimement, le SLPA ne gagna pas la lutte pour la liberté d’expression sur les rues de San Francisco qui finit, tout au plus, en partie nulle. Cependant, tout au long de sa carrière, M. Kingsley continua de se heurter aux problèmes découlant de l’incompatibilité entre les politiques révolutionnaires et les activités politiques légitimes. Ce point devint encore plus apparent en 1902, lorsqu’il s’établit en Colombie-Britannique.

à côté: Le vieux batailleur et le socialisme en Colombie-Britannique
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